Hommage filmé à Jean Vanier
Il a réalisé une œuvre colossale pour faire évoluer le regard porté sur le handicap mental. En ce début d’année 2019, voici que Jean Vanier, 90 ans, part à la conquête des salles de cinéma avec un film documentaire qui s’apparente à un testament. « Pour que le message ne disparaisse pas avec le messager », commente sobrement cet homme de presque deux mètres, fondateur de L’Arche, une association qui fédère aujourd’hui plus de 147 communautés dans le monde où vivent, sur un pied d’égalité, des personnes déficientes mentales et des volontaires désireux de partager leur quotidien.
Dans 35 pays, ce sont au total 5 000 personnes qui vivent cette expérience initiée voilà cinquante-cinq ans, quand Jean Vanier s’installe à Trosly-Breuil, dans l’Oise, pour vivre avec Philippe et Raphaël, deux adultes déficients intellectuels qu’il soustrait à des conditions d’internement indignes. C’est le début d'une aventure humaine hors du commun : « Ils voulaient un ami. Ils ne voulaient pas d’abord mes connaissances, mes capacités à faire des choses, mais mon cœur et mon être », raconte Jean Vanier. À l’époque, ce canadien anglophone a déjà derrière lui une carrière dans la marine – il s’est engagé en pleine guerre mondiale à l’âge de 13 ans – et un parcours universitaire doublé d’une préparation à la prêtrise. Irrémédiablement touché, le jeune homme, dont le père est diplomate, change alors à nouveau radicalement de vie.
DANS L’INTIMITÉ D’UNE GRANDE ÂME
En racontant cette histoire en voix-off, sur fonds d’images d’archives, de dessins et de témoignages de quelques compagnons de la première heure, la réalisatrice, Frédérique Bedos, transmet ce qui l’a bouleversée dans cette trajectoire de vie étonnante, qui fait écho à la sienne. Cette présentatrice d’émissions TV et radio a en effet connu une conversion après un échange avec un prêtre : du jour au lendemain, elle a quitté les plateaux télé et leurs paillettes afin de lancer Le Projet Imagine. Cette ONG d’information réalise des films « inspirants » pour donner à chacun envie de s’engager pour un monde plus juste.
Parmi les héros humbles qui l’ont touchée : Jean Vanier, « ce géant de notre temps », « cette grande âme ». Dès les premières minutes, l’accumulation de superlatifs et une comparaison avec le Mahatma Gandhi traduisent sa profonde admiration, fil rouge de ce documentaire aux accents hagiographiques assumés. Entrecoupé d’extraits d’entretiens entre Jean Vanier et Frédérique Bedos, le film adopte ensuite un registre plus intimiste. La réalisatrice relaie ainsi fidèlement les convictions de Jean Vanier qui lui confie qu’il voit dans ces personnes des êtres « assoiffés de relation ; ce n’est pas leur handicap que je vois, mais le Christ. » Sa douce présence, son goût pour les anecdotes, la joie profonde qui illumine son visage à l’évocation des petits bonheurs simples de la vie… La caméra saisit l’authenticité du « grand homme » et contribue à ce que son témoignage aille droit au cœur. Avec lui, nous abandonnons la vision des personnes handicapées comme des rebuts de l’humanité pour découvrir leur richesse et la façon dont elles nous aident à accueillir notre propre vulnérabilité.
Le documentaire se nourrit aussi de nombreuses scènes filmées dans les communautés qui traduisent en actes, l’intuition de Jean Vanier. Dans une alternance de noir et blanc et de couleur, de travellings et de plans fixes, c’est tout le quotidien des résidents de L’Arche qui est donné à voir : repas, jeux, rires, fêtes, tâches ménagères et travail en atelier…
Des interviews face caméra de personnes handicapées, faites de paroles et parfois simplement de silence, laissent percevoir la diversité de leurs profils et font partager leur univers fait de fantaisie, de poésie, d’humour, de sourires. Elles soulignent que ces personnes participent pleinement à la vie communautaire.
ÉCOUTE, EMPATHIE ET PRIÈRE
Tourné en France, mais aussi en Inde, en Palestine et en Israël, le documentaire donne à voir la dimension universelle de L’Arche. Celle-ci a connu en effet un développement très rapide en Amérique du Nord dès 1969, en Inde en 1970 ou en Côte d’Ivoire en 1974. Paroles de paix d’un prêtre palestinien à Bethléem, démonstration d’un œcuménisme épanoui à Calcutta : le choix de la réalisatrice de visiter des communautés implantées dans des territoires en proie à la guerre ou aux tensions interreligieuses illustre le pouvoir réconciliateur de L’Arche. Fondés sur le principe de réciprocité, ces lieux de vie font découvrir à tous qu’au-delà de nos différences, nous partageons une commune humanité.
La dimension pastorale du film s’enracine dans l’affirmation réitérée de l’égale dignité de chaque homme. C’est Ève, psychomotricienne, l’une de ces professionnels dont s’entourent les communautés, qui explique la différence qui existe entre L’Arche et d’autres foyers d’accueil : « Ici, la personne handicapée devient actrice de sa vie. C’est possible grâce à la conviction que les handicapés pensent comme nous mais passent par d’autres chemins ». C’est à une culture de la rencontre que convie L’Arche. Écoute, empathie et prière jalonnent cet apprentissage de l’art de vivre ensemble avec nos fragilités humaines.
Autant d’ingrédients qui ont permis à ce film d’être sélectionné au Festival de Cannes en 2017 dans le cadre de la Semaine du Cinéma Positif et d’être projeté, le 18 octobre dernier, au siège de l'ONU à New York.
Sa distribution en France se fera au rythme de projections-débats organisées dans les cinémas et à la demande, notamment dans les établissements scolaires. Les échanges permettront d’aborder sans doute un questionnement qui manque dans le film sur l’avenir des communautés de L’Arche : reconnues établissements médico-sociaux et financées par des subventions publiques dans de nombreux pays occidentaux, elles doivent inventer de nouveaux équilibres entre professionnalisation et fidélité au projet. Poursuivre la discussion après cet hommage à Jean Vanier, c’est aussi et surtout, dans l’esprit du Projet Imagine, inviter les jeunes à prendre la relève. Les étudiants peuvent séjourner à L’Arche ou s’engager dans une mission de solidarité internationale via l’association Intercordia, créée par Jean Vanier en partenariat avec trois universités, dont l’Institut catholique de Paris.
Plus généralement, le message de Jean Vanier et « son réquisitoire contre la tyrannie de la normalité et de la compétitivité » qui met les faibles de côté, participe à la formation morale des jeunes. Il nous ramène à l’essentiel, à savoir la relation et la présence aux autres, avec ces mots : « Aimer, ce n’est pas faire quelque chose pour quelqu’un, c’est être avec lui. »
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