Les établissements d'inspiration chrétienne, une espèce en voie de disparition ?
Le constat d’un affaiblissement significatif de la présence chrétienne dans les champs sanitaire et social
Dans le contexte actuel, nous constatons un retrait progressif, mais significatif, des institutions chrétiennes, une disparition progressive de certaines d’entre elles, dans un mouvement sans doute lent mais constant : retrait de la présence des tutelles congréganistes dans les établissements de leur réseau, fermeture d’établissements, reprise des structures par des organisations laïques, étrangères aux Eglises, qui en changent le projet et les valeurs puisque ne partageant pas son message et ses principes.
Or, cette évolution progressive s’est récemment accélérée, notamment du fait de la pression des autorités de tarification et de régulation qui poussent au regroupement des établissements, mais aussi du fait du retrait progressif des congrégations, confrontées au vieillissement de leurs membres et à leur très faible recrutement en France.
Parallèlement, nous constatons qu’un certain nombre d’opérateurs publics ou privés ont une stratégie de croissance externe qui trouve dans ce contexte un moyen d’atteindre leur objectif par la reprise d’institutions d’inspiration chrétienne.
Cette mutation a d’abord concerné le secteur sanitaire : le mouvement de transfert au secteur privé non confessionnel des nombreux établissements hôpitaux et cliniques tenus par des congrégations s’est enclenché dès les années 70, et rares sont les établissements du secteur sanitaire qui affichent encore leur « inspiration chrétienne ».
Depuis une vingtaine d’années, c’est le secteur des personnes âgées qui vit la même mutation. Le marché de la dépendance est fortement concurrentiel, et le transfert d’établissements liés à des congrégations vers les opérateurs privés est significatif.
Notons enfin qu’en 2020, un premier établissement scolaire catholique a été repris par l’un des gros opérateurs du secteur de l’Economie Sociale et Solidaire, qui trouve là un nouveau champ de déploiement et de croissance externe.
Parallèlement à ce mouvement important de retrait, il nous faut également évoquer deux difficultés particulières rencontrées par ces institutions chrétiennes :
o Elles peinent à faire adhérer à leur projet leurs propres salariés, dont les références culturelles et spirituelles sont souvent éloignées de celles de l’Évangile.
o Elles peinent également à assurer le renouvellement de leurs instances de gouvernance. La « pénurie » de bénévoles compétents pour animer les conseils d’administration des associations porteuses des établissements rend ces associations très fragiles, soumises parfois au bon vouloir du directeur de l’établissement. La gouvernance de l’association peut alors perdre son rôle d’orientation, de contrôle, en particulier sur le plan des orientations « pastorales ».
Enfin, il nous faut évoquer l’effet accélérateur de la crise COVID pour les petits opérateurs d’inspiration chrétienne, qui, du fait de la pandémie et du confinement subséquent, rencontrent de graves difficultés financières qui pourraient affecter leur existence même.
Comment soutenir le réseau des institutions chrétiennes engagées dans le champ éducatif et social
Face à ce constat, plusieurs responsables du monde catholique ont convenu de la nécessité de réfléchir à la façon de (mieux) soutenir le réseau des institutions chrétiennes engagées dans le champ éducatif et social et ainsi, contribuer à maintenir une présence chrétienne dans ce secteur.
C’est dans ce contexte que le Président du Conseil d’Administration d’Apprentis d’Auteuil, Jean-Marc Sauvé, et son Directeur général, Nicolas Truelle, m’ont missionné pour engager cette réflexion, avec l’accord et le soutien de la Conférence des Evêques de France (CEF) et de la Conférence des Religieux et Religieuses de France (CORREF).
J’ai conduit cette mission entre mars et septembre 2021. Salarié d’Apprentis d’Auteuil au service d’une mission qui ne touche qu’indirectement cette Fondation, j’ai pu mener ce travail en toute liberté de penser et d’agir, en lien avec de nombreuses parties prenantes. Ce document vise à rendre compte du travail effectué. Il engage donc uniquement son auteur, à l’exclusion de toute partie prenante associée, y compris la Fondation Apprentis d’Auteuil, mon employeur.
Il constitue une contribution à la réflexion d’une problématique dont les enjeux sont importants pour l’Eglise d’aujourd’hui et de demain, notamment en ce qui concerne sa présence auprès des publics les plus fragiles.
Je fais le voeu que ce travail puisse contribuer modestement à la réflexion et à l’action : que dans ce monde en plein bouleversement, l’Eglise de notre pays puisse, pour les vingt ans qui viennent, trouver les chemins de sa présence auprès des personnes en souffrance ou en difficulté, notamment dans les mondes du sanitaire, du social, et de l’éducatif.
Permettez-moi enfin de citer Monseigneur Pontier qui, en 2014, clôturait l’assemblée plénière des Evêques de France en tant que président de la CEF : « Ne cessons pas de nous renouveler dans les formes de proximité et d’engagements avec les plus pauvres, dans l’esprit suscité lors du rassemblement Diaconia de 2013 ».
Eric Dujoncquoy - chargé de mission