Portrait. Ruptures de ban
Son film rend compte d’une lame de fond qui traverse toutes les grandes écoles. Étudiant à l’École centrale de Nantes, Arthur Gosset a participé à ce mouvement qui témoigne d’une volonté sans précédent de transformation de toute la société.
Des ingénieurs et commerciaux de demain – la future « élite de la nation » – remettent en cause le confortable destin auquel ils sont promis pour poser des questions essentielles : que faire face à l’urgence climatique ? Comment ne pas contribuer par son activité professionnelle à la dégradation toujours plus rapide de la biodiversité et au réchauffement de notre planète ?
Dans Ruptures (1), Arthur Gosset suit les parcours de six étudiants de Polytechnique, Centrale, Sciences Po, et d’écoles de commerce qui explorent des chemins compatibles avec les enjeux environnementaux.
Bien antérieure à ce mouvement, sa conscience écologique est née à la sortie de l’enfance. « J’ai grandi dans la campagne lyonnaise au sein d’une famille très aimante en me construisant surtout par des projets en dehors de l’école, explique-t-il. À 13 ans, j’ai lu dans le magazine Science et vie junior que Cétamada, une association de défense des baleines implantée dans l’est de Madagascar, accueillait des jeunes éco-volontaires. »
Il part seul pendant un mois sur l’île Sainte-Marie pour participer à l’observation des mammifères marins, aux relevés scientifiques, à la sensibilisation des touristes et des Malgaches à leur protection. Il y retournera comme bénévole un an plus tard. En novembre 2017, étudiant à Centrale Nantes, il crée avec deux amis l’association Together for Earth, pour « promouvoir au sein de l’école l’écologie, qui était encore très stigmatisée. »« Formés dans les écoles d’ingénieurs à avoir confiance dans la science, nous lisions des articles scientifiques qui tous disaient que continuer dans cette trajectoire nous mène droit dans le mur, explique-t-il. Nous sommes passés des écogestes, comme le tri des déchets, à une écologie plus systémique. »
Ce changement de regard a des répercussions sur ses relations avec ses parents : « Nous étions en désaccord total aussi bien sur le rapport au travail, les moyens de déplacement, l’alimentation que sur la réalité de l’urgence écologique. Je n’en pouvais plus de devoir constamment me justifier de ne pas vouloir de voiture, de manger peu de viande, etc. » En septembre 2019, au début d’une année de césure, il décide de réaliser un film qui lui permettrait de s’adresser à la génération de ses parents et de témoigner d’une tendance qui progresse. Celle du Manifeste étudiant pour un réveil écologique, lancé en septembre 2018 et signé depuis par plus de 32 000 étudiants qui affirment leur « détermination à changer un système économique en lequel nous ne croyons plus ».
Le 30 novembre de la même année, Clément Choisne, étudiant de Centrale Nantes, prononce un discours de remise des diplômes dans lequel il dit son refus de devenir « un rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation ». Plus d’un million de personnes regarderont la vidéo en quelques jours.
Arthur Gosset rend compte de ce mouvement en suivant six jeunes en rupture. Il éclaire la pression qu’ils exercent sur les grandes écoles pour une transformation des enseignements, leur recherche de débouchés professionnels sans impact environnemental, les formes de leurs engagements militants, etc. Le cinéaste débutant prend sa place dans cette narration très maîtrisée, ce qui donne plus de poids encore à son film, portrait de groupe aussi émouvant qu’enthousiasmant.
Ce documentaire lui a permis de renouer un dialogue riche avec ses parents. Il l’a réalisé « non pas comme une critique du modèle dont on s’écarte, mais comme une mise en lumière de l’équilibre trouvé par des jeunes qui ont voulu une place dans la société plus juste écologiquement et socialement ».
Avec sa compagne Hélène Cloître, un des « personnages » de son film mais aussi la coautrice des commentaires et du montage, Arthur Gosset présente Ruptures dans toute la France. Il vient d’achever ses études par un mémoire sur l’extraction des enzymes des boues des stations d’épurations afin de les utiliser en remplacement de produits chimiques.
Et maintenant ? Tout est ouvert. « Après six ans d’apprentissage théorique, j’ai envie d’apprendre des métiers comme la menuiserie, la forge ou la réparation de vélos. J’aimerais aussi réaliser à nouveau un film. Quant à l’environnement, l’engagement se poursuit par notre mode de vie et la participation au débat. »
(1) Diffusé sur la plateforme Spicee (abonnement de 5 € par mois, sept premiers jours gratuits) et présenté gratuitement dans des salles. ruptures-le-film.fr