Tribune – Rétablir la confiance : ce que nous apprend l’éducation
Troubles dans l’autorité
C’est d’abord dans l’éducation que cette crise montre ses différentes facettes. Les récentes controverses sur le « Time out », qui consiste à isoler l’enfant en cas de conflit, le soulignent bien : l’éducateur est sans cesse confronté à ses propres interrogations quant à ses pratiques et sa légitimité.
Notre vision du monde, fondée sur la liberté individuelle et les droits de la personne, s’accommode mal de l’exercice de contraintes souvent vécues comme des violences et des abus. C’est d’autant plus vrai à l’égard d’enfants, qui, s’ils sont pleinement sujet de droits, n’en restent pas moins dans une situation de dépendance à l’égard de leurs éducateurs.
De ce point de vue, on peut se demander dans quelle mesure les comportements des enfants ne reflètent pas les doutes et les troubles intérieurs de l’éducateur. A trop pointer du doigt celui qui refuse d’accorder sa confiance, on oublie qu’une relation se nourrit de réciprocité. La crise de confiance n’est pas un phénomène unilatéral mais profondément relationnel, nourri de part et d’autre.
Sens, confiance, relation
Les sciences cognitives ont mis en lumière, sous le vocable de « Métacognition », les conditions préalables aux apprentissages de l’enfant. Résumons-les ici sous trois dimensions essentielles : sens, confiance et relation.
Primo, l’enfant a besoin de percevoir le sens de ce qu’il fait, en vue de quoi il apprend, par exemple déchiffrer pour lire des histoires. Secundo, il ne peut réussir sans confiance, sans le sentiment qu’il en est capable, capacité qui nourrit la motivation. Tertio, l’enfant doit pouvoir s’appuyer sur des relations qui le nourrissent et le font grandir : les enfants aiment ce qu’aiment les gens qu’ils aiment.
Du défi éducatif au défi démocratique
Symétrie des attentions : ce qui vaut pour les enfants vaut aussi pour les éducateurs. Nous avons tous besoin de donner du sens, d’avoir confiance et de nouer des relations fécondes. Autant de principes pour mieux relever le défi démocratique, alors que le conflit intergénérationnel menace. Ce n’est pas en tapant du poing sur la table, au risque de fragiliser encore les quelques digues qui subsistent, qu’on retissera le lien entre les citoyens et leurs institutions.
Au demeurant, plus les institutions clament haut et fort leur légitimité, plus elles montrent de fait leur fragilité et insinuent le doute. Il n’est que trop temps de réaliser que la succession des crises, l’immédiateté permanente et les contradictions flagrantes de la parole publique ont fragilisé nos institutions et miné la légitimité des décideurs.
Twitter ou le Petit Prince ?
Ce n’est pas en invoquant une autorité statutaire que les éducateurs construisent une relation propice à l’épanouissement de l’enfant comme au leur. C’est en privilégiant le dialogue, la concertation, en identifiant collectivement les règles essentielles à la vie en commun. C’est en prenant le temps aussi, parce que la relation ne peut s’épanouir sans durée comme le sait bien le renard de St Exupéry : « si tu veux m’apprivoiser… ».
Comme le souligne Taine à propos de la Révolution française, on est sans cesse poussé à se désolidariser d’un pouvoir auquel on ne prend pas part. Notre pays n’a pas besoin de querelles d’autorités mais d’un nouvel approfondissement démocratique fondé sur la participation de chacun au bien commun. Ce n’est que par l’initiative et la responsabilité des citoyens que l’Etat pourra se dégager des affrontements incessants et retrouver sa pleine légitimité à relever les défis du siècle.
A nous de choisir entre l’immédiateté et la durée, qui, de Twitter ou du Petit Prince, inspire notre vie démocratique.
Guillaume Prévost, délégué général de Verslehaut