Édito de Véronique Margron – Une justice encore, quand il n’y a plus de justice possible
La journaliste, Julie Lotz, voulait dresser un bilan des deux commissions indépendantes créées après le rapport de la CIASE, afin de recevoir les victimes de prêtres et religieux, de reconnaître la réalité des crimes, de la souffrance subie, des multiples conséquences traumatiques. Reconnaître et réparer ce qui peut l’être au cœur de cet abîme de destruction, du malheur infligé. Constituer ces deux commissions, une pour les victimes de religieux, du côté de la CORREF (la CRR), une du côté de la CEF pour les victimes de prêtres diocésains (l’INIRR), c’était pour l’Église de France tout entière reconnaître sa propre responsabilité face au caractère systémique de ces abus, de ces violences sexuelles. Et non seulement celle des auteurs eux-mêmes.
Ces deux commissions travaillent à la justice restauratrice. Celle qui – parce que plus rien n’est malheureusement possible du côté de l’État – prend à bras-le-corps la volonté d’une justice malgré tout et dont la préoccupation centrale est ce qui peut soutenir aujourd’hui la vie de la victime. Elle sont ainsi tiers de justice afin que la victime ne soit plus en position basse, en infériorité vis-à-vis de la communauté religieuse mais puisse, grâce au labeur de la commission, se retrouver enfin à une certaine égalité. En ayant un défenseur, comme dirait mon ami Job.
C’est bien ce long processus de reconnaissance et de réparation qui semble ne pas avoir été compris dans ce reportage- mais sans doute n’avons-nous pas su l’expliquer. Tout étant centré sur des indemnisations financières calquées sur une expertise des dommages et intérêts. On peut bien sûr comprendre cette démarche. Mais il est injuste – je le crois avec fermeté – de dire que nous aurions fait tout cela pour payer le moins possible. Il est injuste de dire que les membres de ces commissions seraient des amateurs voire des incompétents. Profondément injuste. Penser que tout est affaire d’expertise et seulement d’expertise est, encore et encore, déposséder les victimes de leurs savoirs expérientiels, acquis si chèrement et ne plus les considérer comme des sujets.
Que des erreurs aient été commises, qui pourrait dire le contraire ? Qu’il faille du temps et donc des tâtonnements pour inventer ce qui n’existait pas en France, une justice autre quand la justice ordinaire ne peut plus opérer, c’est certain. Que les critiques soient légitimes et nécessaires oui. Mais cela n’autorise pas un procès d’intention. Les membres de ces deux commissions font preuve d’un engagement qui force l’admiration et le respect. Leurs présidents, Antoine Garapon et Marie Derain de Vaucresson sont donnés corps et âme à leur mission et dans une réflexion critique permanente afin
de toujours améliorer leur façon de faire pour un meilleur soutien des victimes. De mon côté, je redis mon immense gratitude et ma dette à Antoine Garapon et son équipe.
Il y a un grand malentendu à laisser croire que seul l’argent compte. Oui les congrégations et l’Église doivent payer. Oui absolument oui. Mais comptent aussi, ô combien, d’autres réparations : faire un appel à témoin, reconnaître publiquement les méfaits commis, donner à voir les archives, rendre compte des mesures prises pour que cela ne puisse recommencer… Tout cela est nécessairement long car il faut prendre le pas de chacun qui se retrouve plonger dans l’horreur de ce qu’il a subi et leurs déflagrations dans sa vie. Alors s’il vous plaît, ne tirons pas sur les ambulances, sur ces lieux d’humanité qui tentent de refaire de la peau après de telles brûlures.
Un édito à retrouver sur la radio RCFet le site de la CORREF.
Véronique Margron, op
Présidente de la CORREF
Le 20 janvier 2023