Elles luttent contre le virus de la désespérance. Anne-Flore, grande sœur à Lille-Sud
Elle a l’espérance chevillée au cœur. « Je n’ai pourtant pas grandi avec ce qui m’habite aujourd’hui », glisse Anne-Flore Magnan, 33 ans, sœur salésienne de Don Bosco investie à Lille au sein du Valdocco, l’association créée par le père Jean-Marie Petitclerc à Argenteuil. Plus jeune, Anne-Flore était parfois triste et souvent révoltée. Avant de découvrir Dieu : « Je portais cette espérance sans l’appeler Dieu… »
Elle rejoint des copains à l’aumônerie de son collège parisien, pour jouer au basket. Et découvre un endroit convivial et un prêtre diocésain dont elle apprécie les qualités d’éducateur : « Il n’était pas salésien mais aimait Jean Bosco ! » Lors d’un camp de ski, l’adolescente fait une expérience décisive lors d’une nuit d’adoration : « Dieu a choisi pour moi la pédagogie de l’incarnation. »
Pédagogie, le mot est lâché : comme Jean Bosco, elle se sent appelée à vivre la rencontre avec les jeunes. En devenant éducatrice, et en suivant sa méthode préventive. « Cette pédagogie de l’affection et de la confiance m’a construite. Faire goûter aux jeunes qu’ils seront toujours accueillis et attendus, à l’image de l’enfant prodigue et de son père, c’est la clé de la relation éducative », résume-t-elle en souriant.
En parallèle de ses études, Anne-Flore se rapproche des sœurs salésiennes : « J’avais une image plutôt négative de la vie religieuse féminine mais à Lyon, j’ai découvert une communauté de sœurs de tous pays et de tous âges, et devant leur amour fraternel, j’ai éprouvé la joie profonde de quelque chose que je sentais bon pour moi… »Après une année de discernement, la jeune femme fait son noviciat à Castel Gandolfo (Italie) et passe deux ans à Lyon. En 2017, elle prononce ses vœux temporaires.
Depuis plus de trois ans, la benjamine des salésiennes de Don Bosco pour la province (France, Belgique-Sud et Tunisie) vit avec cinq autres sœurs, dans le quartier populaire de Lille-Sud. Épaulée par des laïcs, la petite communauté s’investit au sein de l’école, de la paroisse, d’un groupe scout et du Valdocco.
L’éducatrice se sent à sa place au milieu des enfants qu’elle accompagne, des jeunes issus pour la plupart de familles musulmanes. Au Valdocco, Anne-Flore côtoie 150 enfants et leurs familles, souvent en situation précaire. « La crise sanitaire n’a rien arrangé, certains parents ne travaillent plus depuis un an. Pour des enfants, manger est devenu une question… »
Lors du premier confinement, tout s’est arrêté brutalement. L’équipe éducative, régulièrement renforcée par des jeunes en service civique, a publié chaque jour un tutoriel d’activités faciles à faire à la maison. « Nous avons aussi appelé régulièrement les familles et nous avons créé un autre lien avec les parents », raconte la religieuse. Puis les activités du Valdocco ont repris, en pointillé : « En attendant d’organiser à nouveau des sorties dans ce quartier dont les familles ont du mal à sortir, on propose des activités sportives ou manuelles, des tournois de jeux vidéo aussi, poursuit-elle, à la fois consciente de l’impact du numérique et soucieuse de développer la relation sociale. C’est tout l’enjeu de l’éducation populaire : les adolescents, pourtant tellement connectés, n’ont jamais été aussi seuls. »
Face à la crise, l’équipe du Valdocco gère au mieux l’incertitude : « Avec cette instabilité, les enfants perdent une part d’insouciance, s’attriste Anne-Flore Magnan. De notre côté aussi, il y a parfois une fatigue de l’âme… » D’où l’importance de partager en équipe « et de continuer à nommer les petites réussites éducatives pour nourrir ensemble notre espérance ! ». À quelques jours de Pâques, Anne-Flore Magnan réaffirme avec force et foi que l’amour a toujours le dernier mot : « Pour moi, rien n’est jamais terminé, on le voit avec la mort du Christ puis sa résurrection. C’est ce qui fonde ma manière de vivre. »
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