Le droit de dire la vérité

Pour la troisième année dans les établissements scolaires, nous vivons des périodes éprouvantes avec la crise sanitaire. Un pic de stress a été atteint en janvier-février dernier pour les équipes éducatives quand il a fallu vérifier chaque demi-journée les allers et retours des élèves positifs au COVID  ou cas- contact, testés à J0, J+2, J+4 …, et faire cours devant des élèves qui n’étaient pas les mêmes chaque jour. Avec les beaux jours qui reviennent une accalmie s’annonce, on commence à ôter les masques, un retour à la normale est à l’horizon…

Et voici qu’une catastrophe d’un autre ordre envahit nos écrans et nos consciences : la guerre en Ukraine, aux portes de l’Europe. Sur les écrans de nos télévisions à la maison, sur ceux de nos portables à tout instant, nous suivons tous jour après jour l’avancée des combats, la destruction de villes, les colonnes de l’exode et le récit du drame poignant que vivent tant de personnes de tout âge. Nos élèves, nos collègues, comme nous-mêmes sont confrontés à ce flot d’émotions difficile à gérer.

Partout des gestes de solidarité s’organisent : collecte de vêtements, de médicaments, de vivres ; convois vers la Pologne ou autre pays limitrophe. Et, dans bien des régions, déjà des familles ukrainiennes sont accueillies, des enfants rejoignent nos classes. Ces élans de générosité sont une antidote vitale à la violence du spectacle de la détresse d’autrui. Certains reportages sur ce qui se vit en Ukraine au coeur de la guerre nous donnent de grandes leçons : courage de la résistance, secours aux plus fragiles au risque de sa vie, solidarité infatigable…

Porter le regard au-delà de l'émotion

Mais peut-être nous faut-il , avec nos élèves, aller plus loin, porter le regard au-delà de l’émotion, vers ce qui est en jeu dans ces événements et peut nous interpeller comme éducateurs. Dans un entretien téléphonique accordé à la revue Esprit (mars 2022), le philosophe ukrainien Constantin SIGOV transmet un message fort qui nous invite à réfléchir. Il a fait le choix, avec son fils, de rester à Kiev pour vivre les événements avec leurs compatriotes et témoigner de ce qu’ils voient : 

« Nous assistons en direct à un véritable crime contre l’Humanité, nous en sommes les témoins. Nous ne défendons pas seulement notre peau, nous défendons une certaine idée de la dignité et de la liberté. Si nous ne le faisons pas, notre existence n’a aucun sens... Notre peuple résiste au projet de reconstitution de l’union soviétique. L’espoir de pouvoir se libérer de la peur et de la violence du régime soviétique a été le leitmotiv du mouvement pour l’indépendance de notre pays en 1991 ; deux considérations anthropologiques fondamentales ont motivé notre construction après 1991 : pouvoir ne plus avoir peur de la violence et avoir le droit de dire la vérité. »

L’opacité de l’information, la circulation intense de fausses nouvelles, la banalisation du mensonge peuvent facilement endormir ou fausser les consciences. Comme éducateurs, comme chrétiens, attachés aux valeurs humanistes, à la foncière dignité de toute personne humaine, il nous appartient de lutter pour que le sens de la vérité soit inlassablement l’horizon de tout enseignement et un appel à l’engagement pour les jeunes générations. L’avenir de nos démocraties en dépend.

Christiane Conturie, sfx