Aidez les jeunes à déployer leur intelligence ! par Adrien Candiard.
Frère dominicain et islamologue en terre musulmane, Adrien Candiard insiste sur la nécessité de donner aux élèves des clefs de compréhension du monde pour les rendre plus libres. Selon lui, les enseignants doivent les inciter à s’interroger sur les problèmes les plus ardus, y compris les questions existentielles et religieuses.
Mais comment amener les jeunes à exercer leur intelligence ?
Des questions bioéthiques à la géopolitique au Moyen-Orient… tous les sujets que l’on renonce à éclairer par la raison et le débat ouvrent autant de sables mouvants où la jeunesse risque de s’enliser.
La liberté, le destin, le don, le pardon ou encore le bonheur me semblent aussi des questions fondamentales qui doivent être abordées à l’École, bien avant l’initiation à la philosophie proposée au lycée. Et cela implique une sensibilisation à la pensée religieuse.
L’homme a passé des siècles à se poser des questions sur le religieux, et une forme de sécularisation appauvrissante rend aujourd’hui cette réflexion incompréhensible, alors qu’elle est vitale. Je regrette par exemple que les lycéens ne soient plus capables de lire un auteur comme Pascal. Ou encore que les journaux trouveraient farfelu d’ouvrir leurs pages débats à la question de l’existence de Dieu, pourtant fort intéressante, et que l’on peut aborder de bien des manières, au-delà du seul discours de foi.
Une pastorale qui puisse rejoindre chacun...
Attention à accorder une vraie place à cette dimension dans l’emploi du temps et à ne pas servir de discours mollassons à des jeunes qui sont en demande d’apports stimulants ! Vu la diversité des croyances et des degrés de croyances, il faut aussi éviter de chercher le plus grand dénominateur commun qui affadirait la foi et la réflexion la concernant.
De même, en matière d’interreligieux, je plaide pour que des interlocuteurs juifs et musulmans puissent co-animer certaines séances de pastorale : un discours de l’autre sera toujours plus riche, plus authentique, qu’un discours sur l’autre, souvent lénifiant et caricatural, même s’il se veut bienveillant.
Cela passe aussi par les pédagogies coopératives ?
En effet mais le système éducatif français, marqué par une culture du concours et du diplôme, est très compétitif. Valoriser la dimension coopérative, implique donc d’en faire un critère de sélection pour les filières d’excellence aussi, ce qui est encore loin d’être le cas. Durant ma scolarité, j’ai été un bon élève, plus à l’aise avec les notes et les classements individuels qu’avec les exposés préparés en groupe. Ce n’est qu’en arrivant à l’Institut dominicain d’études orientales du Caire que j’ai pu mesurer – et déplorer – mon manque d’entraînement aux travaux collectifs. Nous y étudions l’islam avec des musulmans pour bâtir une grammaire commune qui permette d’approfondir le dialogue interreligieux et de renouveler les arguments du débat. Il s’agit de collaborer à quatre mains, d’écouter et de comprendre l’autre, sans lui souffler ses mots ni se substituer à lui : je perçois bien aujourd’hui toute l’exigence et la richesse de cet apprentissage.
Retrouvez l'interview accordée à l'Enseignement catholique dans son intégralité.