Enquête - JMJ, dans les coulisses d’une aventure fondatrice
En s’appuyant sur de nombreux documents inédits, l’historien Charles Mercier décrypte la construction et l’affirmation des grands rassemblements de jeunesse organisés sous le pontificat de Jean-Paul II. Une recension de Malo Tresca, la-croix.com.
Dans un monde gagné par la sécularisation, l’auteur – qui avait une vingtaine d’années quand il a lui même participé, en 1997, à celles de Paris – pointe combien ces gigantesques rassemblements itinérants ont ainsi tenté de remédier à l’arrêt de la transmission traditionnelle de la foi dans les familles. Et combien ils ont marqué des milliers de fidèles, sans que l’on puisse vraiment mesurer à quel point ces expériences fondatrices auront ensuite pu jouer, ou non, plus durablement dans leur éventuel retour à la pratique religieuse.
La pertinence d'une intuition
Son ouvrage – qui se concentre sur le pontificat de leur fondateur, Jean-Paul II, par souci de garantir un « recul historique » – est aussi une occasion de renouveler l’approche de la figure du pape polonais. En pointant toute la pertinence de l’intuition qu’avait eue ce dernier de fédérer les jeunes de tous les continents, dans un contexte de « fin des idéologies », de libéralisation, et d’effacement des frontières.
Tel que le qualifie Charles Mercier, le premier « prototype » des JMJ s’est déroulé à Rome en 1984, autour d’un jubilé spécial pour la jeunesse. Au-delà des espérances vaticanes, près de 300 000 jeunes, issus de 67 pays, affluent alors. Conforté par ce succès, Jean-Paul II réédite ce format de rendez-vous l’année suivante, déclarée « Année internationale de la jeunesse » par les Nations unies. Cette fois, 450 000 pèlerins répondent à son invitation.
Rome 84, Buenos-Aires 87, Compostelle 89, ...
Une nouvelle réussite qui pousse Karol Wojtyla à officialiser la création de la « Journée mondiale de la jeunesse » – l’acronyme s’accorde alors au singulier –, dont la première édition se tient à Buenos Aires, en 1987. Bien qu’attirant alors peu au-delà du giron latino-américain, ce choix de destination témoigne bien du souci du pape d’ancrer l’événement dans la mondialisation, en encourageant les jeunes à prendre « conscience de l’universalité de l’Église ». Fondées sur une pédagogie de la diversité, « (…) les JMJ de Jean-Paul II appréhendent les différences ethniques et culturelles de manière inclusive, en s’inscrivant dans une forme de multiculturalisme », relève l’auteur.
Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne, 1989), Czestochowa (Pologne, 1991), Denver (États-Unis, 1993), Manille (Philippines, 1995), Paris (France, 1997), Rome (Italie, 2000), Toronto (Canada, 2002)… Au cours des décennies suivantes, les différentes éditions des JMJ se succèdent. L’organisation se rode, non sans cristalliser parfois des tensions, entre le Conseil pontifical pour les laïcs (organisateur des premières JMJ), la Curie ou encore les communautés nouvelles qui cèdent progressivement du terrain aux épiscopats nationaux…
Riche de nombreuses anecdotes, ce récit palpitant dévoile les coulisses de ces événements – l’émotion, le stress, le surcroît de travail –, leur portée géopolitique en matière de diplomatie étrangère, et les liens qu’ils ont permis de nouer entre les Églises locales, le Vatican, les pouvoirs publics, le monde « profane » – en s’appuyant notamment sur des groupes spécialisés dans l’événementiel – et les médias internationaux.
Au-delà de ce qui a aussi pu être considéré comme une « très bonne opération de relations publiques » de l’Église, Charles Mercier montre encore combien « les JMJ (ont) restauré, après la crise des années 1960-1970, le poids de la papauté dans l’imaginaire des jeunes catholiques (…) » et ont permis « d’accompagner positivement la “minorisation” du catholicisme, en évitant que ses jeunes affiliés se laissent aller au ressentiment ou soient tentés par la sécession d’avec le reste de la société ».